lundi 1 novembre 2010

Un week-end magnifique

Le début d'un week-end magnifique 
La cascade
Une belle balade ne pouvait pas mieux commencer. Après les deux premiers kilomètres qui nous conduisent à la route, nous sommes pris en stop par un pick-up où nous nous installons dans la benne alors que le soleil du matin semble vouloir percer. Nous sommes déposés à quelques centaines de mètres de la passerelle enjambant le Rio Azul qui relie le refuge "el motoco" au reste du monde. L'accès au refuge est un sentier de vingt-cinq kilomètres mais le dénivelé n'est pas forcément très grand, du moins sur la carte. Le premier quart d'heure se fait au ralenti pour chauffer les muscles et profiter d'une cascade en contrebas. Après une ascension d'un peu plus d'une heure et demi, nous arrivons à un point de vue sur la vallée qui est magnifique et là, sur la gauche, deux énormes oiseaux qui tournent à trois cents mètres de nous, ce sont deux condors.
Les condors
Ils sont là, nous avons le temps de les voir à la jumelle, de prendre des photos et de nous émerveiller. Après cette petite pause, le chemin redescend et nous commençons à nous dire que le dénivelé va peut-être nous surprendre. Nous traversons un premier petit torrent puis un second en profitant de la vue qui est magnifique avec des cascades et des vaches. Elles sont là, broutant le versant d'en face qui est plus ou moins à pic mais surtout au milieu de nulle part. Les passages de torrents sont nombreux et certains demandent des talents d'équilibriste. Nous suivons tout le temps le "rio Motoco" qui tonne du bruit du printemps quand l'eau est abondante à cause de la pluie et de la fonte des neiges. Nous nous arrêtons pour manger près du torrent principal dans un lieu magnifique. Ensuite, la promenade continue avec une alternance de montées et de descentes. Des paysages enchanteurs se succèdent au fil des tournants. La plupart des espèces d'arbres, de plantes, de bambous et d'insectes me sont totalement inconnues. Tout à coup, sur la droite un passerelle qui enjambe le torrent à une dizaine de mètres de hauteur. De loin, elle parait convenable, de près, les planches sont bonnes mais la passerelle fait un mouvement de gauche à droite à chaque pas.
Indiana Jones
Après avoir passé une barrière qui est appelée "du milieu", nous arrivons dans un lieu étrange avec une espèce de cabane semi-abandonnée jonchée de bouteilles vides et d'emballages, le squelette d'une construction de deux étages et une sorte de parc. Nous apprendrons plus tard par que ce parc sert pour les vaches du propriétaire quand il faut les marquer. Une fois ce lieu passé, nous arrivons à la seconde passerelle qui, présente nettement moins bien que la première malgré ou à cause de la seconde couche de planches qui croise la première. Elle permet non seulement d'enjamber la rivière mais se trouve exactement sur le quarante-deuxième parallèle sud et donc à la frontière entre les provinces de Chubut et de Rio Negro.
Indianora
Elle est suivie de près par la montée de los caracoles (des escargots) qui demande aux jambes ce qu'elles n'ont pas encore donné. Un peu plus loin, nous sommes obligé de faire déplacer un troupeau de vaches qui bloquent totalement le chemin et qu'il est impossible de contourner. La dernière alternance de montées et de descentes permet d'arriver jusqu'à un faux-plat montant qui mène au refuge. Ce dernier kilomètre est situé dans une vallée plus large et suit le torrent sur sa droite. Le décor est magique, on croirait arriver dans un décor de film. La rivière coule au milieu de deux prairies faiblement boisées, le son du torrent est plus doux, des sommets enneigés entourent le lieu et d'une maisonnette fume une cheminée.


Le refuge et la rencontre avec Luis
Nous savons que le refuge est ouvert toute l'année mais au moment où nous arrivons, il ne semble pas y avoir âme qui vive. Nous décidons d'entrer et de poser nos sacs pour attendre le gardien. Nous jetons un oeil dans cet intérieur qui est un peu sombre et sobre mais habité par un homme puisqu'il y a un rasoir près de l'évier. Un PC joue Highway to hell et c'est justement le contraire qui vient de se passer, c'est footpath to paradise mais je verrai par la suite que mes goûts musicaux sont très proches de ceux du gardien du refuge. Une visite rapide au deuxième étage, nous permet d'apercevoir les matelas qui vont nous servir pour la nuit. Tout ce que je peux dire après un examen éclair, c'est que nous ne les entraînerons pas. Après avoir redescendu les deux trois degrés de l'escalier en colimaçon situé au centre de la maison qui permettent de voir le premier étage, nous nous installons sur les bancs et entendons du bruit à l'étage. Nous étions en fait arrivé au milieu de sa sieste. Un homme hirsute mais rasé de frais descend et nous invite à prendre un jus d'orange. Il nous dit qu'il s'appelle Luis, nous demande d'où nous sommes, si nous avons croisé du monde en venant. De Lettonie et de France et non pas une seule personne mais deux condors. Nous nous reposons un peu et visitons les environs. Nous nous attablons ensuite avec Luis qui nous raconte qu'il vit depuis deux ans ici et qu'il s'occupe de la forêt, du refuge et qu'il est employé par le propriétaire des dix-huit mille hectares qui entourent ce havre de paix dans lequel nous sommes arrivés. Il nous explique ensuite comment fonctionne ce milieu fragile et situé en zone de protection. De ce statut, découle que la terre ne peut pas être vendue et que le bois ne peut pas être coupé, ce qui fait que l'énorme propriétaire terrien n'est riche que sur le papier. Le vent qui avait commencé à souffler quand nous sommes arrivés, semble prendre de la puissance. Cela est du à la déforestation massive du côté chilien et au fil des ans, le vent devient de plus en plus fort et de plus en plus fréquent.
Luis est boulanger à ses heures perdue
Luis est curieux de savoir ce qu'est ce petit pays dont nous lui avons parlé et qui semble être à l'autre bout de la terre. Pour beaucoup de gens, cela parait bizarre qu'un si petit peuple puisse avoir sa propre langue et une culture multi-centenaire qui se soit perpétuée malgré les puissants voisins. Nous parlons ensuite des différentes espèces d'arbres que nous ne connaissons pas et qui sont en fait très locales. C'est à ce moment qu'il nous propose de nous accompagner le lendemain matin jusqu'à un bois d'alerces. Ce sont des arbres de la région appartenant à la famille des séquoia. Il nous raconte l'histoire du refuge qui a douze ans et où le panneau photovoltaïque a remplacé le groupe électrogène, l'histoire de cette carte, la première de la région tracée par un docteur qui au cours de ses expéditions a baptisé les sommets qui n'avaient pas de noms. Le sommet en face de la porte s'appelle Alicia à cause d'une de ses filles et un autre dont je vous ai parlé s'appelle Nora pour la même raison. Cette discussion, à laquelle s'est joint, Nicolas, un ami venu lui rendre visite, nous a conduit jusqu'à l'heure du dîner et pas loin de celle du coucher. Quand on habite dans un lieu si isolé, il faut avoir de très bons amis et qui aiment marcher.

La découverte du bois multimilénaire
Chauras
La nuit se passe très bien malgré le vent qui souffle à décrocher la toiture et de passer du tapis de sol à un matelas explosé donne la même impression que de passer d'une auberge de jeunesse à un hôtel trois étoiles. Le réveil se fait doucement et nous partons vers dix heures pour découvrir ce bois d'alerces qui est, aux dires de Luis, vieux de mille cinq cents à deux mille ans. Sur le chemin nous goûtons de Chauras, ce sont des petites baies poussant comme les myrtilles mais ont la consistance et le goût de la pomme. Il nous montre ensuite que les Cihbue sont des arbres qui poussent vite puisqu'il atteignent plus d'un mètre de rayon en cent ans mais qui se décompose de l'intérieur et sont donc souvent mis à terre par les rafales de vent. Au coin d'un chemin se cache une magnifique cascade qu'il est possible de voir de face et de dessus.
Nora est toute petite et
encore très jeune
Nous arrivons au bois en question et là des arbres immenses dont le diamètre dépasse deux mètres nous surplombent. Luis nous avait montré un petit spécimen sur le chemin qui du haut de ses deux cents ans ne faisait pas plus de quatre mètres de haut pour une vingtaine de centimètres de diamètre. Ces arbres poussent très lentement mais sont en revanche extrêmement solides, résistants au froid et au feu grâce à une écorce épaisse et qui se consume lentement. Nous avons ensuite redresser un spécimen d'environ trois cents ans que le torrent avait renversé et je me suis dit que dans deux mille ans, des gens viendrait ici et se diraient que ce bois est formidablement beau en regardant le travail de Luis et un peu du mien. Car au-delà des tâches précitées, il est pompier affecté à la surveillance des incendies et infirmier. J'ajouterais guide à cette liste et hôte de grande qualité.


Les questions sur le chemin du retour
La première carte de la région
Sur le chemin du retour, je fais beaucoup plus attention aux espèces que Luis m'a présenté et essaye de voir les animaux qui se cachent dans cette immense forêt. Je m'aperçois qu'il y a des pousses de fraises mais dont la taille est celle de nos jardins. Je me rappelle alors que c'est une espèce qui nous vient d'Amérique. Vient ensuite d'autres questions sur les mûriers, les églantiers que nous croisons. Est-ce l'européen qui a emmené avec lui des graines de façon volontaire ou non ? Est-ce que les fruits sont différents et ce sont deux espèces qui ont évolué chacune de leur côté après la séparation des continents ? Existe-t-il toujours des espèces de plantes datant de cette époque ? Mais au fait, c'était quand exactement cet époque ? Est-il possible que ce soit des oiseaux migrateurs qui traversent l'Atlantique ? Pourquoi traverseraient-il l'Atlantique alors que dans les deux cas, il y a des continents au nord et au sud ? Je me suis posé énormément de questions sur l'évolution des espèces et me suis rappelé les pigeons et les moineaux qui vivent dans les villes d'Argentine et d'Uruguay. Je veux bien que le pigeon traverse puisqu'il y a des pigeons voyageurs mais le moineau ? Les cigognes que nous avons vu sur la route d'Iguazu sont les mêmes que celles de Lettonie donc il y a eu au moins un couple qui a fait le voyage avant ou après Christophe Colomb. Finalement, Christophe Colomb n'a peut-être pas été le premier européen en Amérique. D'ailleurs, il faut que je retourne voir les théories sur le peuplement des Amériques par l'homme avant l'arrivée des européens. Une partie de la réduction de la population pré-colombienne à une peau de chagrin est due aux maladies dont les bateaux ont été les vecteurs. Il y a-t-il eu des espèces de plantes ou d'animaux qui ont disparu sans qu'on s'en aperçoive, si oui, en quelle proportion ? Nous rencontrons deux groupes de quatre marcheurs dont un se dirige vers le refuge. Cela est presque surprenant après la solitude complète de la veille. Les points de vues sur le paysage sont différents et nous permette de redécouvrir un chemin que nous avions pourtant fait la veille. Les condors ne sont plus là ou tapis dans leur nid qu'il est impossible de voir. Les sommets sont dans la grisaille et la pluie qui aura menacé toute la journée ne nous sera finalement pas tombé dessus. Puis, au détour du sentier, nous voyons les maisons tapies dans la vallée, le voyage dans ce sanctuaire de la nature est fini. Avons-nous vraiment envie de retourner chez Eléonora qui pleure toujours la mort de son ex-président comme s'il fut un proche ? N'aurions-nous pas du rester là-haut, aller jusqu'au bois d'alerces encore plus vieux et plus haut peut-être même jusqu'au lac où s'arrête le chemin parce qu'après, c'est le Chili ? Nous aurons d'autres occasions de nous immerger dans la nature et l'avantage des randonnées au printemps est la solitude qu'elles apportent qui sont propices à l'écoute, à l'observation, à la réflexion, à la création et au partage quand la solitude est rompue.
Avant le départ du refuge

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